Deep learning, génération d'image et photographie

  1. Limites et potentiels de l’intelligence artificielle — Forum Vertigo 2020 (2/5), Centre Pompidou, Paris, 26 février 2020, 3:32:10 (en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=1Zkny4k-irg&feature=youtu.be&list=PL6MqWe5aRuOBJ-r8GYRltHUdJ0zIlIvVK&t=1 ; consulté le 6 novembre 2020)1:11:00↩︎

  2. D. Cardon, J.-P. Cointet et A. Mazières, « La revanche des neurones: L’invention des machines inductives et la controverse de l’intelligence artificielle  », Réseaux, n° 211, no 5, 2018, p. 31↩︎

  3. Qu’est-ce que l’imagination (artificielle)? - Joyeux-Prunel, Cadain, Chatonsky, Ecole Normal Supérieur, s. d., 2:03:42 (en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=t6Uh5d9-hnY ; consulté le 1er décembre 2019)22:50↩︎

  4. É. Larousse, « Intelligence artificielle - LAROUSSE  », s. d. (en ligne : https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/intelligence_artificielle/187257 ; consulté le 3 juin 2021)↩︎

  5. K. Crawford, Atlas of AI, Yale University Press, New Haven & London, 2021, p. 4-5↩︎

  6. C. Malabou, Métamorphose de l’intelligence, que faire de leur cerveau bleu, Presses Universitaires de France, Paris, 2017, p. 14↩︎

À l’occasion de l’exposition Neurones, les intelligences simulées, Mutation Création, au centre Pompidou en février 2020, l’IRCAM avait organisé la table ronde Vertigo : Limites et potentiels de l'intelligence artificielle. La réception du public a alors été assez distante. Ainsi demeure évidemment l’idée que la machine produit l’image et que l’artiste reste « passif  » dans la mise en place de ces systèmes. Le public questionne : « I wonder if with “accessible” machine learning tools everyone can become artist1?  » — ainsi avec une partie de ces technologies en open source — la technique devient accessible à tout le monde. On retrouve une forme d’incompréhension de la part du public vis-à-vis de l’usage de l’intelligence artificielle dans l’art.

Cette incompréhension est tout d’abord due à un imaginaire très puissant planant sur la notion d’intelligence artificielle. Marvin Minksy, chercheur en IA était conseiller lors du tournage de 2001 l’Odyssée de L’espace2 (1968). Les œuvres de science-fiction se sont inspirées de la recherche et elles nourrissent aussi l’imaginaire des scientifiques. Ainsi Alexandre Cadain indique lors de la conférence à l’ENS Qu’est-ce que l’imagination (Artificielle) ? : « Les laboratoires puisent dans les imaginaires d’hier leurs objectifs du jour3  ». L’imaginaire entourant les notions d’intelligence artificielle et la recherche dans ce domaine s’y trouve entremêlé. Cet entremêlement produit possiblement du flou chez les spectateurs et spectatrices.

La notion même « d’intelligence artificielle  » fait l’objet de débat. Elle désigne l’« Ensemble de théories et de techniques mises en œuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l'intelligence humaine4  ». Kate Crawford dans l’Atlas of AI, explique qu’il existe deux mythologies distinctes en IA. Le premier définit que les systèmes artificiels sont analogues à l’esprit humain — et par conséquent qu’une intelligence « humaine  » peut être construite à partir de rien. Le second mythe définit l’intelligence comme une donnée distincte des forces sociales, politiques culturelles et historiques5. On comprend alors que l’intelligence « naturelle  » est elle-même par essence compliquée à définir. Catherine Malabou explique ainsi :

Si les psychologues affirment que la notion d’intelligence recouvre une série de données empiriques, ils échouent cependant, selon les philosophes, à dire ce qu’elle est, à expliquer ce que signifie « être intelligent  ». Tout se passe comme si l'intelligence existait sans avoir d’être6

  1. Ibid., p. 15↩︎

  2. I. 2. Apprentissage supervisé par des données F. Jely, « Mémoire : L’intelligence artificielle, l’apprentissage et le signe  », 2020 (en ligne : http://dsaa.felixjely.fr/ ; consulté le 17 mars 2021)↩︎

  3. Y. LeCun, Informatique et sciences numériques - Leçon inaugurale, Collège de France, 4 février 201644:00↩︎

  4. Traduction : Les formes contemporaines d’intelligence artificielle ne sont ni artificielles ni intelligentes K. Crawford, Atlas of AI, op. cit., p. 69↩︎

  5. Préface B. Wands, L’art à l’ère du Numérique, Londres, Thames & Hudson, s. d., p. 7↩︎

Ainsi elle propose une définition par l’étymologie :

« intelligentia  » désigne la « faculté de comprendre  », que le préfixe « inter  » et le radical « legere  » (« choisir  », « cueillir  ») ou « ligare  » (“relier”) permettent d’interpréter comme capacité d’établir des rapports entre les choses, ils emploient plus volontiers le terme d’ « intellect7  ».

Les algorithmes de machine learning ou d’apprentissage automatique sont donc apparus dans une optique de mimétisme de l’intelligence humaine. Ils effectuent des opérations de classifications et d’analyses de données, simulant l’intelligence humaine. Ainsi j’avais précisé dans mon précédent mémoire que le machine learning :

[…] repose sur l’apprentissage de la machine à partir d’exemples fournis. L’algorithme se compose de deux phases, une phase d’apprentissage ou celui-ci est « nourri » d’une base de données d’exemples puis d’une phase de prédiction où l’algorithme suivant le modèle des exemples peut élaborer des nouvelles données8.

Les réseaux de convolution ou convolution neural network (CNN) avaient été produits initialement par Yann LeCun pour reconnaitre des signes dans des images numériques. Dès 1989, il produit avec son équipe l’algorithme LeNet qui permet de lire les chiffres manuscrits sur les chèques et d’automatiser leur lecture9. LeNet produit donc une fonction humaine, mais nous verrons que les réseaux de convolutions seront détournés pour produire des images — l’algorithme se distingue alors de sa fonction mimétique. L’usage du terme d’« intelligence artificielle  » demeure alors quelque peu erroné, car il ne qualifie plus une entreprise humaine automatisée par l’usage d’algorithmes, mais bel et bien une fonction nouvelle — produite par la machine et non reproduisible par l’homme.
Kate Crawford explique ainsi : « Contemporary forms of artificial intelligence are neither artificial nor intelligent10  ». Nous conserverons cependant ce terme pour définir des processus algorithmiques utilisant des méthodes de machine et de deep learning. La réticence du public peut s’expliquer par une rupture avec les autres arts : l’absence d’ « auteur  ». En effet, L’algorithmie et l’informatique précèdent dans l’art l’arrivée de ces nouvelles productions. On les retrouve, en effet, médiatisées dès 1993, avec le New York Digital Salon11.

  1. D. Cardon, J.-P. Cointet et A. Mazières, « La revanche des neurones  », op. cit., p. 3↩︎

  2. Traduction: Je ne comprends pas pourquoi vous êtes allé à une conférence sur AI et l’Art si vous ne considérez pas l’art fait avec l’IA comme « utile  » Limites et potentiels de l’intelligence artificielle — Forum Vertigo 2020 (2/5), op. cit.1:26↩︎

  3. Traduction : Vous pouvez faire des choses pour des galeries qui vendent des choses kitchs pour beaucoup d’argent, mais vous ne pourrez peut-être pas finir à Pompidou Id.1:12:00↩︎

  4. Traduction : Vous n’avez pas besoin de réseaux de neurones pour devenir artiste, vous avez besoin d’idées Id.1:13:00↩︎

Cependant, avec l’usage de modèle de machine learning ou apprentissage machine, les modèles changent radicalement, « Ce qui était conçu comme la partie “humaine” de la fabrication des calculateurs, le programme, les règles ou le modèle, n’est plus ce qui est introduit dans le système, mais ce qui en résulte12  » — Dominique Cardon met en évidence la rupture : l’algorithme n’est plus régi par des règles prédéfinies, c’est l’algorithme qui produit lesdites règles. Les auteurs des précédents paradigmes informatiques étaient les programmeurs : ils définissaient les règles. Maintenant, avec ces algorithmes de machine learning ; la définition d’auteur change radicalement.
Robbie Barrat, présent lors de la table ronde, rétorque alors au public : « I don’t understand why would you come to a conference on AI and Art if you don’t consider art made with AI to be “useful13” ? ».

Ainsi Mario Klingermann répond à son tour : « you can do it pretty sure some gallery that sell kitsch stuff and sell it for a lot of money you might not end up in the Pompidou14 [La conférence est au centre George Pompidou] », et Jonas Lund complète : « you don’t need neural network to become an artist, you need ideas15  ». Pour eux, il y a une primauté de la valeur conceptuelle, de l’idée, par rapport à l’esthétique héritée des réseaux de neurones pouvant être « kitch  ». La question de cette rupture avec l’art précédent dresse un parallèle avec l’histoire photographique. L’usage de ces technologies dans l’art est accepté par les institutions, mais « rejeté  » par le public. Mario Klingermann définissait alors lors de la conférence une typologie, technique, esthétique et « historique  » avec différentes périodes datées. Nous essaierons donc de dresser un parallèle entre la photographie et ces nouvelles technologies émergentes, puis nous essaierons de rendre compte des différentes typologies d’algorithmes génératifs.