À l’occasion de l’exposition Neurones, les intelligences simulées, Mutation Création, au centre Pompidou en février 2020, l’IRCAM avait organisé la table ronde Vertigo : Limites et potentiels de l'intelligence artificielle. La réception du public a alors été assez distante. Ainsi demeure évidemment l’idée que la machine produit l’image et que l’artiste reste « passif » dans la mise en place de ces systèmes. Le public questionne : « I wonder if with “accessible” machine learning tools everyone can become artist1? » — ainsi avec une partie de ces technologies en open source — la technique devient accessible à tout le monde. On retrouve une forme d’incompréhension de la part du public vis-à-vis de l’usage de l’intelligence artificielle dans l’art.
Cette incompréhension est tout d’abord due à un imaginaire très puissant planant sur la notion d’intelligence artificielle. Marvin Minksy, chercheur en IA était conseiller lors du tournage de 2001 l’Odyssée de L’espace2 (1968). Les œuvres de science-fiction se sont inspirées de la recherche et elles nourrissent aussi l’imaginaire des scientifiques. Ainsi Alexandre Cadain indique lors de la conférence à l’ENS Qu’est-ce que l’imagination (Artificielle) ? : « Les laboratoires puisent dans les imaginaires d’hier leurs objectifs du jour3 ». L’imaginaire entourant les notions d’intelligence artificielle et la recherche dans ce domaine s’y trouve entremêlé. Cet entremêlement produit possiblement du flou chez les spectateurs et spectatrices.
La notion même « d’intelligence artificielle » fait l’objet de débat. Elle désigne l’« Ensemble de théories et de techniques mises en œuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l'intelligence humaine4 ». Kate Crawford dans l’Atlas of AI, explique qu’il existe deux mythologies distinctes en IA. Le premier définit que les systèmes artificiels sont analogues à l’esprit humain — et par conséquent qu’une intelligence « humaine » peut être construite à partir de rien. Le second mythe définit l’intelligence comme une donnée distincte des forces sociales, politiques culturelles et historiques5. On comprend alors que l’intelligence « naturelle » est elle-même par essence compliquée à définir. Catherine Malabou explique ainsi :
Si les psychologues affirment que la notion d’intelligence recouvre une série de données empiriques, ils échouent cependant, selon les philosophes, à dire ce qu’elle est, à expliquer ce que signifie « être intelligent ». Tout se passe comme si l'intelligence existait sans avoir d’être6.