1. C. Gestin-Vilion, « La protection par le droit d’auteur des créations générées par intelligence artificielle », 2017, p. 7 (en ligne : https://corpus.ulaval.ca/jspui/handle/20.500.11794/28192 ; consulté le 12 novembre 2020)↩︎

  2. Ibid., p. 11↩︎

  3. Ibid., p. 20↩︎

  4. Ibid., p. 20↩︎

  5. « Code de la propriété intellectuelle », s. d. (en ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGITEXT000006069414/) L111-1↩︎

  6. C. Gestin-Vilion, « La protection par le droit d’auteur des créations générées par intelligence artificielle », op. cit., p. 9↩︎

  7. Ibid., p. 10↩︎

  8. Id.↩︎

La question du droit juridique sur les notions d’intelligences artificielles a été le sujet de mémoire de Claudia Gestin-Vilion à l’Université de Laval (Québec) en 2017.

« À mesure que les ordinateurs se sont développés, nous avons vu notre relation avec eux évoluer et le rôle de l'ordinateur passer de celui d'un “outil” sous le contrôle direct de l'artiste à celui d'un collaborateur ou d'un partenaire créatif et, potentiellement, d'une entité créative autonome1 ».

« Le droit d’auteur français a été pensé de façon humaniste, voire “romantique”, plaçant l’humain au cœur de la création2 » — Il y a donc aussi des spécificités du droit, et de la notion d’auteur en fonction de l’héritage culturel du pays dans lesquelles on questionne le droit en IA.

Le Code de la Propriété intellectuelle donne une « […] définition par la négative de l’œuvre de l’esprit3 » et n’est pas soumis à « L’accomplissement de formalité4 » ; dans la loi française, il n’y a pas d’enregistrement nécessaire pour qu’une œuvre soit considérée comme telle. Le Code de la propriété intellectuelle l’explicite clairement : « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous5 ». Claudia Gestin-Vilion définit deux types d’intelligence artificielle « artistique » : une dotée d’une « […] créativité combinatoire6 », l’autre dotée d’une « […] créativité émergente7 ». Ainsi pour la seconde catégorie : « […] le style créatif et les règles inhérentes à une discipline artistique sont traduits en lignes de code informatique et transmis à une machine8 ». Or les GAN (ou autre système reposant sur un système GAN) dynamitent cette catégorisation, car ils produisent de nouvelles images depuis un corpus d’image préexistant donc sans que les règles de reproduction lui soient transmises. La production est nouvelle et non pas combinatoire.

  1. Ibid., p. 25↩︎

  2. Id.↩︎

  3. Ibid., p. 40↩︎

  4. Ibid., p. 41↩︎

Dans le cadre de la création assistée par ordinateur : « […] l’utilisation d’un outil — qu’il soit logiciel ou de toute autre nature — ne fait pas obstacle à la reconnaissance du caractère original de l’œuvre qui en résulte9 », cependant : « [Dans le cadre d’une production par IA] l’humain n’intervient dans le processus de création que pour initier celui-ci, mais ne dispose d’aucun contrôle sur l’exécution du processus. Dans ce cas-là, ce n’est pas la personne physique qui effectue l’acte matériel de création et la question de l’existence d’un auteur-créateur se pose10 ». Cet extrait met en évidence que la pluralité des propositions artistiques produites par IA n’ont pas les mêmes problématiques juridiques : par exemple, le portrait de Edmond Belamy du collectif Obvious reste dans un usage « d’outil », mais dans les productions d’Anna Ridler pour Mosaïc Virus (2019) ou de Pierre Huyghe dans UUmwelt (2018), et par leur caractère autoévolutif, c’est bel et bien l’algorithme qui effectue l’acte matériel de création. Ces productions demeurent donc « artistiques » dans l’intention qui leur est insufflée. Mais est-ce si évident ? Qu’est-ce qui dans l’intention est « artistique » ? Qu’est-ce qui distingue le document de l’œuvre dans le contexte de production autoévolutif, autogénératif ? La distinction entre œuvre et document peut évidemment faire écho au droit photographique.
Ainsi pour Gestin-Villion : « […] les questions qui se posent ici ont été traitées en grande partie par le passé relativement aux œuvres photographiques11 » — ainsi étudier le droit photographique permettrait de mieux l’appréhender. Dans la jurisprudence européenne, la qualification d’œuvre photographique doit répondre à différents impératifs :

Le photographe « Compose le paysage ou la scène qu’il va ensuite fixer12 » donc la question du travail préparatoire en photo permet de la définir comme œuvre d’art, dans le cadre de la création par IA, on pourrait le calquer aux traitements et à la sélection des données. Donc une photographie prise sur le vif n’est pas œuvre d’art ?

  1. Id.↩︎

  2. Id.↩︎

  3. F. Soulages, Esthétique de la Photographie, op. cit., p. 141↩︎

  4. « Selfie du singe: pas de droits d’auteur pour le macaque Naruto », sur LEFIGARO, s. d. (en ligne : https://www.lefigaro.fr/culture/2018/04/25/03004-20180425ARTFIG00112-selfie-du-singe-pas-de-droits-d-auteur-pour-le-macaque-naruto.php ; consulté le 10 mars 2021)↩︎

  5. V. Flusser, Pour une philosophie de la photographie, op. cit., p. 78↩︎

  6. A. Rouillé, La photographie, op. cit., p. 332↩︎

« La qualité des contrastes de couleurs et de reliefs, le jeu de la lumière et des volumes13 », il s’agit de décrire une esthétique photographique — là le cadre juridique reste très flou.

« Le cadrage, l’instant convenable de la prise de vue14 », se réfère finalement à « l’instant décisif » de Cartier Bresson ; dans le cadre de l’usage d’IA, s’agit-il d’une sélection des productions proposées par l’algorithme ?

Pour François Soulages le passage du sans art à l’art chez Atget se définit par la multiplicité des clichés ; ainsi il écrit : « Ce qui rend possible cette mise en œuvre, c’est d’abord le passage d’une photo isolée à un ensemble de photos15 », or le texte présenté ne parvient pas à démontrer la nécessité d’un ensemble de poses pour considérer le photographe comme « auteur ».

Donc réunir ces différentes qualifications suffit-il à authentifier une photographie comme œuvre d’art ? La juridiction californienne refuse pourtant à authentifier d’autres formes du vivant comme auteures. Ainsi un macaque, en Indonésie, s’était emparé de l’appareil photographique de David Slater pour prendre un cliché16. Comme l’indique Flusser :« Bien que l’appareil photo se fonde sur des principes scientifiques et techniques complexes, il est très facile de le faire fonctionner. C’est un jouet structurellement complexe, mais fonctionnellement simple17 », à l’instar du slogan de 1888 de Kodak : « Pressez sur le bouton, nous faisons le reste18 ! ». L’animal n’a pas eu de problème à faire fonctionner l’appareil. Le photographe a pu reprendre l’appareil et a publié les photographies prises par le singe baptisé Naruto.

  1. « Selfie du singe », op. cit.↩︎

  2. A. Rouillé, La photographie, op. cit., p. 399-400↩︎

  3. M. Frizot et R. Delpire, Histoire de voir: Le médium des temps modernes (1880-1939), op. cit., p. 70↩︎

  4. A. Rouillé, La photographie, op. cit., p. 419↩︎

  5. Id.↩︎

  6. P.-D. Huyghe, « L’outil et la méthode (fac similé) », op. cit., p. 70↩︎

  7. Id.↩︎

  8. Traduction : Dans un souci d’usage malicieux de cette technologie, nous ne diffuserons pas le modèle entrainé « Better Language Models and Their Implications », sur OpenAI, 14 février 2019 (en ligne : https://openai.com/blog/better-language-models/ ; consulté le 29 avril 2021)↩︎

La question du droit d’auteur pour les primates a en effet été posée en 2017 lors d’un litige entre PETA et une banque d’image libre de droits, Wikimédia, qui contenait ladite photo. La cour d’appel de Californie à délibéré que : « […] les violations de droits d'auteur ne pouvaient être dénoncées que par des humains19 ». La question de l’auteur se retrouve bouleversée aussi dans le champ de l’art avec modernité ; pas uniquement dans un contexte de production photographique ou générative, comme l’indique André Rouillé :

Avec la modernité, l’affirmation du public et l’accroissement de la division du travail sur la scène de l’art entament la souveraineté dont bénéficie l’artiste en raison de son savoir-faire, son métier, son regard. Désormais l’artiste — sa « patte », son regard — n’est plus l’unique garant de sa valeur artistique. Après avoir longtemps reposé principalement sur l’artiste et le tableau, cette valeur est désormais à construire (en retard et aléatoirement) sur la scène de l’art. Faire art ne consiste plus à fabriquer (artisanalement) des tableaux20

« Il serait trop réducteur de voir en Demachy un prosélyte exclusif des “procédés d’art en photographie” […] L’usage de méthodes de tirage qui relève plutôt de la peinture et de l’artisanat graphique a considérablement inspiré sa vision photographique21. » Ainsi — par la mécanisation de l’image —, une distance se crée avec la vision artisanale du fait artistique. L’art « traditionnel » est lié à l’artisanat et au geste, Demachy et les pictorialistes l’incorporent dans un second temps, après la prise de vue, au processus créatif. « Utiliser la photographie, c’est-à-dire transférer le fait artistique à une machine est une façon d’adhérer au programme “Alinéas sur l’art conceptuel22” [de Sol LeWitt] » ainsi dans une nouvelle pratique se détachent du « métier au sens artisanal du terme23 ». La critique fait à l’égard de la production par IA lors de la table ronde Vertigo en introduction est autant inscrite dans la continuité de ce qu’a entamé la photographie. La mécanisation de la pratique artistique entraine une rupture avec le public que l’on retrouve en photographie, mais aussi dans l’art conceptuel — la rupture avec le public n’est pas forcément « nouvelle » avec l’usage des algorithmes. Pierre-Damien Huyghe, explique ainsi que pour Baudelaire, avec l’apparition de la photographie, « […] la théorie du génie s’effondre24 », car : « l’opération si mystérieuse et si fascinante du génie artistique serait réductible à l’opération d’une petite boite noire25 ? »
Nous nous posons la question du droit de l’image produite. Or il existe aussi un droit logiciel, un droit sur les algorithmes. Ainsi une grande partie des algorithmes de machine learning est distribuée en « libre », car issus de projet de recherches d’universités ou de laboratoires. Ils sont distribués sur des plateformes comme arXiv (1991), gérée par l’université de Cornell, où sont publiés les articles scientifiques en archive ouverte.

Puis ces algorithmes sont l’objet de projets logiciels — dont un certain nombre est présent sur le web, sous forme de dépôt et accessibles sur la plateforme web Github (2008). Ils reposent sur des licences libres : Creative Common, Apache license, BSD ou GNU… Les bases de données sont en accès restreint, mais certaines peuvent être accessibles. Comme la base de données de Microsoft COCO (Common Object in Context) est accessible à tous et elle est sous licence Creative Common 4.0 license.

Mais certains projets dérogent à cette règle : GPT-3 (2020) d’OpenAI est en accès limité par API, tous les utilisateurs de cette technologie effectuent des requêtes à un serveur. Ainsi OpenAI connait tous les usages de chacun des utilisateurs.
GPT-2 (2019) est distribué sous Creative Common, mais sans son modèle pré entrainé par les ingénieurs, car jugé dangereux : « Due to our concerns about malicious applications of the technology, we are not releasing the trained model26 ». Est-ce une démarche purement éthique ou une peur de rétro-ingénierie de la part de la concurrence ?
La théorie de la boite noire se retrouve à la fois dans le cadre photographique, chez Vilém Flusser et dans le cadre de l’Intelligence artificielle, dans le cadre des thèses des cybernéticiens connexionnistes.