Algorithme et appareil photographique usent de la métaphore de la boite noire pour concevoir leurs système et fonctionnement. Ainsi Vilém Flusser définit les boites noires comme modèle de l’appareil photographique :
Pour le photographe c’est justement le noir de la boite qui constitue le motif à photographier. Même si, dans sa quête de possibilités il se perd à l’intérieur de son appareil, il peut maitriser la boite. Car il sait comment alimenter l’appareil (il connait l’input de la boite), et sait également comment l’amener à cracher des photographies (il connait l’output de la boite). Aussi l’appareil fait ce que le photographe exige de lui, bien que ce dernier ne sache pas ce qui se passe à l’intérieur de l’appareil : le fonctionnaire est maitre de l’appareil. Voilà ce qui caractérise le fonctionnement de tout appareil : le fonctionnaire est maitre de l’appareil grâce au contrôle qu’il exerce sur ces faces extérieures (sur l’input et sur l’output), et l’appareil est maitre du fonctionnaire du fait de l’opacité de son intérieur1.
Par cette définition Vilém Flusser indique une différence de relation entre l’objet et son utilisateur qu’il s’agissent d’un outil ou d’un appareil. Pour lui l’appareil se définit par l’opacité de son intérieur donc par sa complexité. Il définit deux relations distinctes entre le fonctionnaire et l’appareil, le fonctionnaire contrôlant l’appareil en lui présentant des entrées (ou inputs) et en anticipant les sorties (ou outputs) — par l’expérience du fonctionnement de l’appareil ou par la maitrise de la science découlant de l’appareil. Vilém Flusser indique une différence fondamentale entre l’outil et l’appareil. Ainsi « Les outils au sens usuel arrachent des objets à la nature pour les placer (stellen) (pour les fabriquer — herstellen) là où se trouve l’homme2 ». Pour Flusser l’outil déplace et transforme des objets, pour qu’ils aient des fonctions propres à l’homme, contrairement aux appareils. « Les outils au sens usuel sont des prolongements d’organe humain […] ils s’étendent au sein de la nature3 », ajoute-t-il. C’est en cela que se distingue de l’appareil : « Les appareils […] n’accomplissent aucun travail en ce sens. Leur intention n’est pas de transformer le monde, mais de transformer la signification du monde4 ».
Pourtant, Robbie Barrat dans Infinite Skull (2018) considère
ces algorithmes comme des outils créatifs et non pas comme de véritables
appareils : « La machine n’est pas créative, c’est un outil.
L’art repose dans le choix5 », précise-t-il. Est-ce
qu’il voit ces algorithmes comme outils, car il les maitrise si bien
qu’il s’agit pour lui d’un prolongement de son corps, ou est-il dans
l’illusion d’une maitrise ? Est-ce aussi, comme nous le verrons, parce
qu’il a le « dernier mot » sur l’objet ; qu’il sélectionne les pistes
créatives, qu’il est le dernier maillon discriminant du processus
génératif ?
Mais L’outil pas forcément une maitrise complète, car l’accident peut
persister. Le geste peut même être volontairement accidentel comme avec
les techniques de dripping de Jackson Pollock. La maitrise
parfaite de l’outil peut correspondre plus à de l’artisanat qu’à de
l’art. Ernst Gombrich explique ainsi que les expressionnistes abstraits
« […] étaient convaincus de la nécessité de s’abandonner à l’impulsion
naturelle6 ».